Théâtre : Fracassés
Théatre : Fracassé

© Lizzie Onofri

 

Gabriel Dufay & Kate Tempest vous proposent du mercredi 10 au samedi 13 octobre 2018 à 20h, leur nouvelle création : Fracassés, une pièce dont le propos résonne particulièrement avec ce que nous vivons tous aujourd’hui…

 

Rêves fracassés, aliénation généralisée, solidarité ébréchée, nécessité de changer sans savoir comment faire... Ce texte a également bien des rapports avec la pièce À deux heures du matin de Falk Richter, que je vais monter en parallèle. Les deux spectacles formeront pour moi un diptyque sur la modernité et sur la jeunesse, imprégné d’une énergie électrique et d’une grande mélancolie, ainsi que d’un humour implacable. J’ai la volonté de mêler dans le spectacle musique, vidéo et danse dans un espace à la fois réaliste et onirique. Le spectacle se situera à la croisée d’un concert de rap ou d’électro (la musique tellurique de Kate Tempest) et du théâtre, entre Sarah Kane et Samuel Beckett. Je veux aboutir à une forme théâtrale, chorégraphique et musicale, qui pose en creux cette question essentielle : Comment repoétiser le monde ? Comment le réinventer et y trouver sa place ?

 

Dans un monde à la dérive, trois jeunes gens amnésiques qui se sont vus grandir trop vite, trois écorchés vifs, trois oiseaux blessés – avec du plomb dans l’aile –, ont usé leurs forces et se retrouvent sur le rivage, face à leurs illusions perdues, avec la volonté d’en découdre et de changer quelque chose dans leurs vies. Les personnages vont être confrontés à des choix, car s’ils veulent « changer », ils vont devoir malgré tout trouver leur place dans ce monde, dans cette ville qu’ils rejettent. La ville est partout dans cette pièce (les scènes se passent successivement dans un parc, dans un bar, dans un entrepôt et dans la rue), elle dévore tout ce qui bouge, comme une sorte de pieuvre aux tentacules infinies.

 

Aussi, l’espace sera un cadre épuré, comme un carrefour, une interzone, symbolisant bien la croisée des chemins où se retrouvent les personnages, entre le monde de l’adolescence qu’ils voudraient voir prolongé et le monde des adultes qui les appelle et les menace.

 

Je suis très inspiré esthétiquement par les photographies de Gregory Crewdson qui capte des solitudes en milieu urbain et par les films de Michael Mann. Un espace à la fois très brut (présence du bitume, de la rue, des bureaux) et très mystérieux (la ville la nuit et ses tonalités poétiques), avec des éléments du rêve et d’une nature qui grignote sur la ville, les personnages ayant constamment envie de s’évader, d’échapper à leur réalité. Fracassés est un texte qui ne va jamais là où on l’attend, brassant tout un tas de thèmes contemporains, de préoccupations urgentes, qui concernent tout un chacun. C’est une partition rythmique et musicale avec crescendos, decrescendos, solos, parties chorales, accélérations, ralentis, monologues et dialogues visant à épuiser le monde. Aux scènes réalistes succèdent les scènes brechtiennes, avec un art de la rupture et du mélange des couleurs.

 

J’ai choisi de monter cette pièce avec trois comédiens au jeu animal, viscéral. Car ce texte demande aux acteurs un engagement sans faille. Chacun est ici prisonnier de sa solitude, comme un satellite en suspension dans l’espace. Au désespoir d’une jeunesse délaissée, à qui on ne propose aucune porte de sortie, répond la présence du Chœur (et donc d’une communauté réinventée, de la poésie, de la force abrasive du rap) dans la pièce. Tempest réussit à représenter les faiblesses mais aussi la force d’une génération, sans oublier de nous faire réfléchir sur un système que nous subissons et dont nous sommes pourtant tous les agents. Non sans humour, l’auteur se pose en chroniqueuse des temps modernes traquant les dysfonctionnements de notre société et partant également à la recherche de l’absolu, armée du désir très légitime de faire exploser les prisons dans lesquelles nous nous enfermons sans nous en rendre compte. Elle observe l’humanité avec acuité mais non sans tendresse. Kate Tempest, avec ce texte explosif, incite à la réaction immédiate, à une insurrection par la musique, la littérature, la poésie, l’art, l’engagement collectif (« Wake up and Love more » est une des injonctions de notre poétesse). Aussi j’imagine ce spectacle comme une tragédie musicale, tout aussi bien que chorégraphique, portée par des comédiens mettant en jeu leurs corps et portant haut la poésie et la rage salvatrice de Kate Tempest. 

Gabriel Dufay

 

Maison des Arts et de la Culture

Place Salvador Allende