Créteil et la guerre 14-18
photo de la guerre 14-18 à Créteil

Pendant la guerre, Créteil accueille des troupes dans des cantonnements installés sur ses terres agricoles. - © Carte postale tirée du livre Créteil...mon village ! d'André Dreux

La Grande Guerre à Créteil

Le Journal officiel du 2 août 1914 publia le décret de mobilisation des Armées de terre et de mer du 1er août 1914. Les préfets reçurent un télégramme et prévinrent à leur tour les maires. La dépêche arriva, à Créteil, le 1er août à 4h40 de l’après-midi[1]. Il fallut rajouter la date sur les affiches déjà distribuées aux mairies.

 

André Dreux[2] se souvenait : « Ce fut le 2 août 1914 : premier jour de la mobilisation. Télégrammes des préfets aux maires ; ce samedi 1er août, d'abord la petite affichette à la porte des mairies, suivie bientôt de la grande affiche blanche officielle et dans toutes les communes de France, le tocsin et l'annonce du tambour.

 

Nulle surprise, car on pressentait la guerre depuis longtemps; tout y concourait depuis plusieurs années ; le « coup de torchon avec les Prussiens » - on disait encore « les Prussiens » en cet été 1914 -, on l'attendait, car Guillaume nous cherchait trop querelle, pour qu'un jour il ne puisse trouver un prétexte pour nous déclarer la guerre.

 

En ce samedi 1er août, on était encore sous l’émotion de l’assassinat de Jaurès ; la population de la France entière avait gardé son sang-froid  à part quelques trublions qui s'en prirent aux dépôts de la laiterie Maggi accusant cette société d’être au service des Allemands. C’est ainsi que le dépôt du 7 Grande Rue fut saccagé et c'est la commune qui par la suite fit les frais de ce pillage. »

 

Les archives municipales gardent trace de la demande de réparations de la société laitière Maggi, mais donne comme adresse 13 Grande Rue. La société avait été fondée, en 1872, par le suisse alémanique Julius Maggi, inventeur en 1908 du bouillon cube. Ce dernier était vendu en France sous la marque Bouillon Kub ; le k initial lui donnait un aspect germanique. Dans toute la France, les 2 et 3 août, des magasins « allemands » et notamment les boutiques Maggi furent saccagés. Déjà en 1913, Léon Daudet, de l’Action française, avait accusé la société d’être un nid d’espions. Des plaques émaillées publicitaires furent démontées car on disait qu’elles donnaient des indications pour l’invasion. On alla jusqu’à accuser la société d’empoisonner les bouillons Kub et le lait des enfants.[3] 

 

Si on en croit l’éminent docteur Edgar Bérillon[4], savant reconnu, médecin-inspecteur des Asiles d’Aliénés, professeur puis directeur de l’Ecole de psychologie et directeur de l’établissement médico-pédagogique de Créteil, le repérage des Allemands avait commencé dès avant la guerre grâce à leur odeur : « On ne manquera pas d'objecter que l'odeur des soldats allemands résulte surtout des conditions dans lesquelles ils se trouvent placés par la guerre. A cela il est facile de répondre qu'aussi bien dans l'état de paix que dans les périodes de guerre, l'odeur des Allemands présente les mêmes caractères de fétidité, et j'en ai recueilli d'innombrables preuves. […] L'odeur de la race allemande présente des caractères si particuliers que lorsqu'on l'a une fois perçue, elle reste définitivement gravée dans la mémoire sensorielle.

 

C'est par elle qu'il fut permis de dépister, quelques semaines avant la guerre, un employé allemand qui, sous le couvert de la qualité d'Alsacien-Lorrain, s'était fait admettre à l'Établissement médico-pédagogique de Créteil. Il s'agit donc d'une odeur spécifique de race qu'on retrouve chez la grande majorité des individus allemands. Cette odeur, par l'effet de soins de propreté, de pratiques d'hygiène spéciale, de l'usage de désinfectants, est moins appréciable dans les classes riches ou aisées ; elle n'en est pas moins sensible pour un odorat délicat. Elle n'est pas particulièrement liée à la couleur des poils. Elle émane des individus bruns aussi bien que des blonds roux. »

 

Un conseil municipal fut réuni le 2 août, on y parla notamment de la réquisition des chevaux et des voitures qui devait être pris en charge par une commission siégeant à Saint-Maur. Le même jour, « [c]onsidérant  que, dans les circonstances actuelle, des réjouissances publiques seraient déplacées, qu’il importe de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre au milieu des opérations de la mobilisation et la tranquillité du pays pendant que les hommes valides sont sous les drapeaux. », le maire décidait la fermeture des salles de bal et de spectacles, celle à 21 heures des débits de boisson pour la durée des opérations et l’interdiction « de former des attroupements sur la voie publique, de battre le tambour, de sonner du clairon ou de la trompette et de colporter des nouvelles dont l’exactitude n’aurait pas été officiellement confirmée.»

 

Les soldats

 

Les soldats au front

 

Les classes 1911 à 1913, c’est-à-dire les jeunes hommes nés de 1891 à 1893,  faisaient leur service militaire et étaient donc d’active. La mobilisation concernait la « réserve », classes 1900 à 1910, et la « territoriale », classes 1893 à 1899. La « réserve de la territoriale », classes 1887 à 1892, furent incorporées progressivement à partir du 16 août. Beaucoup des Cristoliens étaient affectés dans les régiments traditionnels de la région parisienne, les 46e et 89e régiments d'infanterie qui s’illustrèrent sur la Marne, la Somme, l’Argonne, le Chemin des Dames…

 

Chaque soldat avait dans son livret militaire un fascicule précisant son corps d’affectation et l’ordre de se mettre en route sans attendre. Il lui était précisé la gare de départ et de destination. Il fallait faire vite, les soldats furent avisés que « afin d’éviter toute perte de temps, il est utile de se faire couper les cheveux ras avant de partir».

 

« Les réservistes suivirent donc leur ordre d'appel dès le 2 août et la majorité rejoignit la gare de l’Est, ce qui dominait c'était la dignité dans la conscience d’aller faire son devoir. C'est ainsi que suivant les classes d’âge, les départs s'échelonnèrent de jour en jour. S'il y avait de la bonne humeur dans l'air, il y avait aussi quelques larmes versées par la vieille maman qui voyait partir son gars, ce « petit » qu'elle avait choyé, dorloté et pour lequel elle ne présumait pas que quelques jours après, il serait déchiqueté à Charleroi, disparu ! Larmes aussi des jeunes mariées ; nous connûmes un de ces couples de Créteillois de naissance : leur mariage venait d’être célébré ; ce malheureux jeune marié fut tué.

 

Larmes aussi des fiancées, malgré les paroles d'espoir du partant : « il n'y en aura pas pour longtemps, dans deux mois ce sera la paix ; on va prendre le « train pour Berlin ». Gravité des vieux qui avaient fait 1870 ; ils voyaient partir leurs fils et petits-fils et c’était pour ces vieux, qui eux savaient ce qu'était la guerre, l'incertitude du retour de leurs gars ; ce fut le cas du brave père Létonné, dont le nom figure quatre fois sur le monument aux morts, et en plus celui d'un de ses petits-fils.

 

Non seulement les réservistes de l’armée active furent mobilisés les premiers, mais aussi les R.A.T. (réserve de l'armée territoriale) affectés comme garde-voies et nous vîmes ainsi partir à pied jusqu'au poste central de la grande ceinture à Valenton, deux artisans du bâtiment de la classe 1889, le jour même de la mobilisation.[5]

 

Puis, après deux mois de guerre, ceux qui l'avaient espérée de courte durée durent se résigner à se préparer à une guerre longue et après le sacrifice des pantalons rouges et les pertes considérables des premières semaines, la classe 1914 fut appelée et après une brève instruction envoyée sur le front. Si leurs aînés s'étaient battus à la Marne, les Créteillois de cette classe, dont un contingent assez fort avait été incorporé aux 46e R.I 89e R.I.,  affrontèrent le feu en Argonne dans les rangs de ces régiments de Paris, que gosses, ils avaient vu manœuvrer dans la plaine de Créteil et goûté parfois au rata à la pause-repas aux abords de Mesly.

 

Après la classe 14, ce fut rapidement le tour de la 15, tout de suite fort éprouvée en Artois et en Champagne ; la 16, dont le maire Geffroy, s’adressant aux conscrits, leur disait dans son discours « enfants hier, lions demains » ; de ces 58 conscrits de la classe 16, la plupart prirent la « route de l’enfer », celle qui menait à Verdun et beaucoup n'en revinrent pas ; s'ils en revinrent, ce fut presque toujours meurtris ; et furent à leur tour appelés ceux de la 17 et ceux de la 18, qui connurent de dures épreuves, eux aussi. Et dans tous ces jeunes, plusieurs avaient déjà leurs pères aux Armées et pas toujours dans des « bons coins », car les « pépères » étaient dans bien des cas exposés au feu.[6] »

 

Les Cristoliens n’oubliaient pas les soldats. Le 30 octobre 1914, le maire se réjouit devant le conseil municipal que 14 paquets de vêtements et du tabac avaient été envoyés aux soldats grâce aux dons des enfants des écoles et des élèves de l’association philomatique [7] qui confectionnèrent un lot de sous-vêtements. Les envois de colis aux soldats cristoliens du front ou prisonniers se succédèrent : sous-vêtements et divers objets en novembre 1914, 52 colis de chaussettes, sous-vêtements et objets divers en décembre 1915, 112 colis de sous-vêtements, tabac et objets divers en février 1916, 123 en janvier 1917, grâce à « la générosité des habitants »,121 en janvier 1918 où « des lettres de remerciements sont parvenues à la mairie, elles témoignent d’une entière reconnaissance et surtout d’une confiance inébranlable dans la victoire »… Les élèves de l’école des filles tricotèrent des « chaussettes et objets de laine à expédier aux soldats de Créteil se trouvant au front».

 

Les soldats à Créteil

 

Avant la guerre, la plaine de Créteil servait de terrains de manœuvres pour les dragons de Reuilly et les artilleurs de Vincennes. Les vastes terrains libres de construction étaient donc bien connus des militaires qui y établirent des cantonnements provisoires pour les troupes.

 

photo des soldats

 

Le 23 août 1914, la 73e batterie de dépôt du 59e régiment d’artillerie de campagne s’installa et resta jusqu’en mai 1915. Elle fut remplacée par cinq batteries du 3e régiment d’artillerie coloniale comprenant 1 000 hommes et 1 000 chevaux. Du 23 août au 5 septembre 1915, la demie 7e batterie du 5e régiment d’artillerie à pied territorial prit ses quartiers avec 2 officiers et 128 hommes, elle céda la place à la 42e batterie du 10e régiment d’artillerie à pied avec 1 officier et 158 hommes.

 

Surtout, le 15 septembre 1915, fut formé à Créteil le dépôt du 83e régiment d’artillerie lourde de Vincennes qui comptait alors 1 officier supérieur, 6 officiers, 776 hommes et 33 chevaux.  Les lourds canons étaient tractés par des véhicules automobiles d’où le nom nouveau de régiment d'artillerie lourde à tracteurs (RALT). Outre le dépôt principal de Créteil, d’autres lieux de formation furent ouverts dans les environs, à Joinville, Bonneuil, le Tremblay ou Saint-Maur. Nogent accueillait le 82e RALT. Cette concentration de formations d’artillerie lourde peut s’expliquer par la présence en région parisienne d’usines de tracteurs automobiles comme Latil à Suresnes, Panhard à Paris ou Renault à Boulogne.

 

« Le Dépôt du 83e fonctionne à Créteil (Seine), à partir du 1er octobre 1915, sous le commandement du Chef d'Escadron REDIER. Ses batteries constitutives sont organisées avec des éléments prélevés sur divers Régiments d'Artillerie à pied. Au cours de la guerre, le Dépôt du 83e Régiment fut appelé à former et à alimenter en personnel environ cinquante unités de toute nature (batteries de tir, sections de réparations, sections de transports, sections de camions, batteries d'instruction, etc.) [8]». En 1917, par exemple, eut lieu une formation d’élèves officiers mécaniciens pour quarante sous-officiers des armées du Nord et du Nord-Est. Les batteries, armées de canons de 120 à 270 voire 280, s’illustrèrent sur la Somme et à Verdun.

 

Les troupes étaient accueillies dans divers bâtiments publics ou appartenant à des particuliers. L’ancienne propriété Lérolle au 9 rue du Moulin abrita les bureaux des troupes cantonnées. Les hommes étaient hébergés dans la « salle de réunion » de la rue des Ecoles, sans doute la salle Jean Cocteau, et dans le bâtiment du 5 rue de Saint-Maur (avenue de Verdun actuelle), bibliothèque municipale depuis 1909 et jusqu’en 2014. Les locaux durent être insuffisants, les soldats purent loger chez l’habitant : en 1916, le conseil municipal étudia la « réintégration de fournitures de literie militaire abandonnés par les troupes chez les habitants.». Plusieurs photographies montrent des baraquements.

 

photo des sous officiers

 « Mess des sous-officiers » du 59e régiment d’artillerie à Créteil en 1915


Il fallait aussi accueillir le matériel : « Le parc d’artillerie lourde et des tracteurs automobiles a été établi, Route d’Alfort, dans une vaste pièce de terre située entre la Rue de l’Échat et l’Avenue de Versailles (Propriété de l’Assistance Publique). » Ce terrain de 2 ha 83 a 72 ca est aujourd’hui occupé par  l’hôpital Henri Mondor.

 

Une restructuration des régiments d’artillerie lourde à tracteurs entraina le départ de Créteil du dépôt. Les soldats devaient contribuer à l’économie locale, bien que les marchandises militaires échappassent à l’octroi ; une photographie du « messe des sous-officiers montrent des artilleurs dans un café ou une guinguette avec des femmes ayant revêtu des uniformes. Les Cristoliens ne voulaient pas les voir partir, ainsi qu’en témoigne cette délibération du conseil municipal de 1917 : « [compte tenu du] départ du 12ème régiment d’artillerie de Vincennes, le 83ème régiment d’artillerie lourde dont le dépôt est établi à Créteil depuis septembre 1915 doit abandonner ses cantonnements pour aller s’installer à Vincennes. Il s’ensuit que les bâtiments communaux et les baraquements construits pour la guerre sont évacués définitivement. En raison de l’intérêt que présente à tous les points de vue l’occupation de la commune par les militaires, le maire insiste très vivement auprès de M. le gouverneur militaire de Paris afin que de nouvelles troupes soient dirigées sur Créteil ».

 

Les élus furent entendus et, le 10 décembre 1917, s’installa à Créteil le premier groupe du 290e régiment d’artillerie lourdejusqu’à leur départ au front le 6 mars 1918, mais aussi 100 hommes et 8 chevaux du 10e régiment de l’artillerie à pied. Ils furent remplacés en avril par le 286e régiment de l’artillerie lourde. En février 1919, les dernières troupes cantonnées à Créteil, celles du centre d’instruction des 31e et 33e divisions, quittèrent la ville.

 

photo des artilleurs

Artilleurs du 83e, photographie prise à Créteil, 1917[9]

 

photos des soldats au repos

 Soldats au repos dans l’ancienne école des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul

 

D’autres soldats venaient en repos. L’ancienne école des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, au coin de la rue du Moulin et la rue de la Recette (rue Paul François Avet),  fermée suite à la loi de 1905, fut affectée pendant la guerre à l’accueil des soldats convalescents. C’est sans doute là qu’au dos d’une carte postale, sans lieu, ni date, un soldat écrivit : « Le ravitaillement de la troupe se fait par camions automobiles ; à l'heure actuelle, je suis au dépôt et j'attends mon tour d'appel ; tous les jours il y a des départs pour le front. Ce sont à chaque départ des « au revoir, bonne chance », mieux vaudrait dire « adieu ».

 

Ici, on ne fait absolument rien, des parties de cartes, de dames, d'échec ; on tue le temps, avant que ce soit lui qui le fasse à son tour. Créteil est un charmant petit endroit où bon nombre de Parigots venaient jadis. [10] »

 

Les archives municipales possèdent la photocopie d’une carte postale avec une mention manuscrite tardive : « Créteil (prisonniers allemands d’origine Lorraine et Alsacienne) rengagés dans l’Armée française. » Cette interprétation est confirmée par le texte qui se trouve au verso : « Créteil le 12 novembre 1916

Ma petite Augusta

Je t’envoi une photografi de soldats Alsacien lorain qui ont été fait prisonnier par les Russes et qui sont maintenant avec nous ils se sont engagé dans l’armée Française ils couchent dans la même chambre avec nou ils se sont fait [illisible] ensemble […] ton papa qui t’embrasse ainsi que tous les autres Raux a »

(Orthographe respectée.)

 

Rien n’indique où étaient logés ces soldats, la photographie montre des baraquements qui n’ont pu être identifiés.

 

photo des prisonniers alsaciens 

Prisonniers alsaciens-lorrains à Créteil, carte envoyée le 12 novembre 1916

 

La vie à Créteil pendant la guerre

 

Les gens de l’arrière souffrirent aussi de la guerre. A l’angoisse des proches des soldats et à la douleur de ceux qui perdaient un être cher, s’ajoutèrent les difficultés de la vie quotidienne et, à partir de 1916, les menaces des attaques aériennes.

 

La suppression, en 1915, de la distribution annuelle des prix aux élèves des écoles publiques, cérémonie forte de la vie locale, montre bien que la vie n’était plus la même. Pourtant, on voulait continuer à vivre : « dans le but de procurer aux élèves des écoles publiques le moyen de faire un séjour de vacances à la campagne, la municipalité et la caisse des écoles organisent des colonies avec l’appui financier du département et l’appui des familles […]. 25 enfants ont été placés dans le département de l’Allier […] un second départ de 30 enfants est en préparation pour un séjour à Souvigny (Allier). Ces 2 groupes sont placés sous la surveillance d’une institutrice suppléante communale de Créteil à qui la Caisse des écoles a accordé 50 f en plus du traitement payé par la commune.» L’accueil fut bon : « Le séjour à la campagne de ces enfants leur a été très salutaire. L’accueil qu’ils ont reçu de la part des personnes ayant accepté de les prendre en pension a été du reste on ne peut plus bienveillant. »


Les réfugiés

 

Créteil accueillait des réfugiés. Le Journal des rapatriés du Nord qui tentait d’en faire la liste pour donner leur nouvelle adresse, indiquait, par exemple dans son édition du 7 août 1918 : « Crèvecœur-sur-Escaut : Alphonse Berard et Arthémise née Forja, 2 rue de Joly à Créteil. »

 

En 1917, il fallut créer unetroisième classe à l’école maternelle et une classe enfantine annexée à cette école car « certaines classes contiennent une quantité d’élèves trop élevée pour le nombre de places disponibles […] Cette situation très préjudiciable à une bonne hygiène et essentiellement défavorable à la conduite des études ne peut que s’aggraver en raison de l’arrivée dans la commune de nouvelles familles de réfugiés».  En 1918, fut même créée une « école primaire belge à l’emplacement de l’ancienne école paroissiale, rue de Saint-Maur n°5, conformément aux conventions intervenues entre les gouvernements belges et français […], il a été convenu que les enfants de l’école Belge pourraient continuer à prendre leurs repas avec les élèves des écoles publiques communales. Ils seront amenés et repris par leur institutrice.»

 

L’orphelinat du 5 rue Félix Maire accueillit des orphelins de guerre, 23 sur 25 enfants en 1919. Cela lui valut, cette même année, d’être reconnu comme œuvre de guerre.

 

Le travail

 

Les armées consommaient de grandes quantités de matériels et de nourriture. Les grandes zones industrielles du Nord et de Lorraine étaient occupées. Il fallut du temps pour se réorganiser. Le chômage frappa durement avec l’arrêt de nombreuses activités suite à la mobilisation. La production reprit progressivement, surtout à partir de 1917 et notamment en Région parisienne. Mais l’inflation et la très faible hausse des salaires, voire leur blocage, créèrent des difficultés. « Vers le début de 1916, les grèves se multiplièrent : en février les couturières employées par l'intendance, en  mai les travailleurs du bâtiment et de l'alimentation, en mai 1917 à nouveau les couturières, les employés du « Printemps », de la Société Générale, les ouvrières en caoutchouc ; en juin, grève des cheminots, des ouvriers des usines Renault et Salmson ; des défilés tumultueux eurent lieu au cri de « A bas la guerre », mais dès la fin de juin l'agitation s'apaisa. En mars 1918, la grève reprit dans les usines d'armement, avec plus de 300 000 grévistes. [11]»

 

À Créteil, le Conseil municipal s’inquiétait aussi du vagabondage dans un vœu demandant sa suppression dans la banlieue de Paris : « il ne se passe pas un jour sans que des dépravations de toute sorte soient commises au préjudice des habitants et que notamment les promenades, plantations, édifices publics soient l’objet de dégradation ayant pour auteur des jeunes gens oisifs dont les moyens d’existence ne s’expliquent pas».

 

« Les hommes au front, les femmes au travail, ce fut une des images de toute la France de 14-18 et nombreuses furent les Créteilloises qui s'employèrent au travail des hommes » notait André Dreux[12]. Ce ne fut pas si simple, beaucoup de femmes avaient des difficultés. La paye du mari manquait et le travail n’était pas si abondant. La municipalité créa un fond municipal de chômage en février 1915, le règlement en fut modifié en 1918.

 

En 1915, le conseil municipal décidait d’ouvrir un ouvroir « dans le but d’encourager par tous les moyens possibles le travail des femmes de Créteil. Il recevrait des commandes pour la confection de vêtements et objets pour l’armée […]. Les travaux de couture seraient confiés aux personnes désireuses d’améliorer leur situation». La décision fut reprise en 1917 et en 1918 où la délibération précisait « dans le but de procurer de l’ouvrage aux femmes désireuses d’améliorer leur situation par le travail.

 

Mme veuve Desbordes a mis à disposition un immeuble qu’elle possède. Dans les locaux de cette propriété l’ouvroir fonctionne depuis le 20 novembre 1917 sous la direction de Mme Mottez qui a obtenu de l’intendance de nombreuses commandes. Il a été confectionné à ce jour 5 000 chemises, travail qui a occupé 154 personnes. Le tissu utile à la fabrication de 15 000 autres chemises et de 170 000 sacs à terre doit arriver ces jours ci. La main d’œuvre féminine qui sera utile à ces travaux sera portée à 300 personnes ». Cet ouvroir était situé au 16, rue de la Recette.

 

Les problèmes de ravitaillement

 

La pénurie se faisait sentir dans de nombreux domaines. Ainsi, en mai 1916,: « il est décidé de faire appel à la population pour recueillir les vieux papiers en vue d’assurer l’existence même des journaux quotidiens qui, à l’heure actuelle, doivent être considérés comme des auxiliaires de la défense nationale». Les chaussures étaient rares et chères aussi, en 1917, le ministre Clémentel proposa l’utilisation stocks militaires de cuir pour fabriquer des chaussures bon marché qu’on appela « chaussures nationales » ; à Créteil, « A la suite de la communication faite par le préfet, le maire fournit aux cordonniers et marchands de chaussures les indications utiles afin de leurs permettre de recevoir des chaussures nationales à vendre aux habitants».

 

Même l’approvisionnement en eau était perturbé : « la « Compagnie des eaux de Seine et de source », par suite du manque de charbon, s’est trouvée dans l’obligation de restreindre la fourniture de l’eau dans la commune». En février 1915, la Compagnie générale des Omnibus faisait savoir « qu’il n’[était] pas possible d’envisager de nouveaux départs matinaux (avant 6 heures du matin) pour Paris station Louvre. En raison des difficultés d’exploitation, notamment par suite de la mobilisation de la majorité du personnel de la compagnie » et la Compagnie des tramways de l’est parisien ne « [pouvait] rétablir le service de la ligne Pont de Charenton-Créteil par suite du manquement de charbon». La fourniture d’électricité fut interrompue « pour l’éclairage et la force motrice » en novembre 1917.

 

La nourriture était sans doute le sujet le plus préoccupant. En février 1916, les élus du département s’inquiétaient de la « cherté des vivres » et créèrent un comité en vue d’obtenir une réduction du prix de la viande.

 

Le conseil municipal décida d’utiliser les terres disponibles et de « les mettre en état de production pour les besoins en légumes de la cantine scolaire [et de]les affecter à des particuliers désireux d’occuper leurs loisirs à la culture, afin de pourvoir à l’alimentation de leur famille » ; « dans le but de procurer, aux habitants disposant de jardins potagers, d’un moyen peu coûteux d’amender les terres, la municipalité [mit] en vente un engrais très fertilisant (poudrette moulue sans odeur)». Les enfants des écoles participaient à l’effort : « 4 terrains ont été ensemencés par les soins de la municipalité avec l’aide des élèves de l’école de garçons. Il a été produit 4 600 kg de pommes de terre, 400 de haricots. Ces produits sont destinés à la cantine scolaire et au bureau de bienfaisance».


Les paysans prirent leur part et s’organisèrent en créant, en février 1916, un Comité local d’action agricole, sous la présidence de Léon Benoist. Un cultivateur de Créteil, M Caillet, fit don de 300 kilos de plants de pommes de terre pour l’ensemencement d’un champ laissé à la disposition de la commune, chemin de Valenton.

 

Régulièrement, la Commune se procurait divers produits pour les revendre à la population : du charbon en 1915 et en 1916, de la « viande frigorifiée » cette même dernière année, des engrais et de l’avoine pour les chevaux en 1917... En janvier 1917, « M le Maire fait connaître au Conseil qu’il a été procédé à deux ventes publiques de pommes de terre, les 21 décembre et 4 janvier, et qu’en outre la municipalité s’est préoccupé de ravitailler les détaillants de manière à procurer aux habitants le moyen d’approvisionnements chez leurs fournisseurs habituels. 20 600 kilos ont été ainsi répartis. »

 

Il fallut rationner et instituer des cartes pour l’achat de sucre et de pain en 1917. « Les carnets de pain dont l’établissement a été prévu par décret du 3 août 1917 ont été préparés à la mairie et sont déposés chez les boulangers de la commune.» En 1918, la « remise des tickets [donnait] droit à une ration journalière de 300 grammes de pain par personne, sans distinction de sexe, d’âge, de profession et de ressources». En juin 1918, fut instituée une « carte du fumeur ». En octobre 1918, de nouvelles cartes d’alimentation furent distribuées aux 7 489 habitants.

 

Un comité d’approvisionnement se constitua le 20 mai 1917, sur convocation du maire, dans le but « d’examiner les moyens de réaliser pour les habitants de la commune certains achats de combustible (charbon, anthracite et bois) comme aussi de pommes de terre et de légumes secs ». Il fut rejoint par deux autres organisations préexistantes : « un comité analogue présidé par M Guillaumet » puis, en novembre 1917, le Groupe des Intérêts généraux de Créteil. Fin 1917, l’Etat se réserva le monopole de l’approvisionnement en charbon, mais le bois restait de la compétence locale. Le 4 août 1918, le Comité d’alimentation et d’approvisionnement émit un vœu du pour l’abattage et l’élagage des arbres de certaines voies publiques afin de se procurer du bois de chauffage. Grâce aux subventions municipales, le comité put acheter divers produits. Le 24 juillet 1917, son président V Drouin faisait savoir au maire qu’il avait acquis un stock « d’huile d’olive garantie pure » et souhaite poursuivre « pour des achats de salaisons, lards et saindoux d’Amérique, lait condensé ».

 

Les produits étaient vendus dans un magasin ouvert, le 23 août 1917, au 30 Grande Rue. Un recensement, établi par le maire à la fin 1917, indiquait que le comité avait réparti, depuis le 1er juillet, 100 000 kilos de pommes de terre, 10 000 de salaisons, 15 000 de riz et légumes secs, 1 000 de fruits secs, 3 000 d’huile… La commune décida, en octobre 1918, l’acquisition d’un camion et d’une camionnette, parmi le matériel militaire réformé, afin de pouvoir transporter les marchandises, notamment la viande venant des établissements frigorifiques de Clichy.

 

Le rationnement perdura après la guerre. Des cartes furent encore délivrées en mars 1919. Le conseil municipal constatait, en février 1919 la nécessité de constituer des stocks de précaution de bois de chauffage « épargner les ressources en charbon qui ne seraient employées qu’au cours des périodes les plus froides » ; en effet, notait-il, « pour divers raisons, notamment, par suite de l’insuffisance des moyens de transport, des grèves survenues tant en France, qu’en Angleterre et du retard qui s’est produit dans la livraison des charbons Allemands, la situation du ravitaillement en combustible présente actuellement un caractère évidemment précaire.»

 

Le Comité d’alimentation et d’approvisionnement de Créteil fut dissous en septembre 1919, mais remplacé par « magasin communal d’approvisionnement » dans le but de poursuivre la lutte contre la cherté de la vie. « Avec les membres de l’ancien Comité, les marchandises sont reprises, vendues dans la salle municipale de réunion, rue des Ecoles n°14[…]. L’intention de la municipalité est d’assurer le ravitaillement de ce magasin au moyen des produits de première nécessité qui pourront être achetés dans des conditions avantageuses pour les habitants soit auprès du ministère du ravitaillement soit auprès des producteurs ou négociants».

 

Ce magasin ferma en juillet 1921. Les terrains de l’office HBM rue des Mèches continuèrent à être cultivés jusqu’en 1931, année où furent produits 3 300 kg de pommes de terre, 760 kg de carottes, 110 kg de haricots, 90 kg d’oignons pour les cantines scolaires.

 

La peur des aéronefs

 

À la fin de la guerre, les raids aériens devinrent une menace. «Les bombardements de Paris et de la banlieue furent nombreux durant la guerre 1914-18. Bombardements par avion en l914; en mars 1915 par zeppelin ; à nouveau par avion en 1915 et 1916 ; il y eut alors 26 morts à Belleville. En 1918, les bombardements furent plus sévères : 45 morts le 30 janvier, puis d'autres les 8 et 11 mars. Le 15 mars le dépôt de munitions de La Courneuve sauta, causant 25 morts ; Aubervilliers et Le Bourget furent ravagés. Les grosses « Berthas », bombardèrent Paris d'une distance de 120 km, à rythme accéléré à partir du 23 mars 1918 […]. En tout, ces bombardements avaient fait plus de 600 morts civils et plus de 1 200 blessés.[13]»

 

Dès août 1917, l’éclairage public était réduit « dans l’intérêt de la défense du camp retranché de Paris contre les aéronefs ennemis». Le 21 avril de cette année, le maire obtint de la préfecture de police et de l’administration des postes que « la mairie reçoive les avis d’alerte en cas de raid aérien » et donc «la mairie pourra dorénavant communiquer avec Paris de jour et de nuit pour demander du secours à la préfecture de police ou à l’état-major des sapeurs-pompiers».

 

Le conseil du 24 mars 1918 recensait les mesures prises : suspension de l’éclairage public pendant « les périodes lunaires », peinture en bleu du verre des lanternes restant en service, établissement d’une liste d’immeubles pouvant servir d’abri et apposition d’une plaque marquée « abri » à leur entrée, mesures pour évacuer rapidement des enfants des écoles… 

 

En juillet 1918, la commission des finances communales proposaient d’allouer des indemnités : 2 francs par nuit pour les gardiens des usines Boulenger, Marquise et Vappereau chargés « de faire fonctionner les sirènes donnant l’alerte en cas d’incursion nocturne d’avions ennemis », 5 francs par nuit d’alerte « aux 4 pompiers et au gradé composant le piquet de service, aux deux gardes-champêtres et au chef cantonnier, ce dernier chargé de sonner la fin de l’alerte au moyen de la cloche de l’église. »

 

Un espoir, l’intervention américaine

 

L’entrée en guerre des Américains fut un signe d’espoir comme en témoignait le conseil municipal : « l’intervention des Etats Unis d’Amérique dans la guerre nous procure la plus grande espérance pour le triomphe de la cause commune. A l’occasion de cette circonstance la mairie a été pavoisée le 7 avril aux couleurs françaises et alliées auxquelles s’ajoutait le drapeau américain». Le 4 juillet 1918, fête de l’indépendance américaine, les bâtiments communaux étaient à nouveau pavoisés  et, en juillet 1919, le conseil municipal rendait : « un hommage de reconnaissance à l’armée américaine et au général Pershing [et adressait] à la vaillante armée américaine son admiration et son inaltérable reconnaissance pour l’aide puissante qu’elle a apporté en combattant avec les troupes alliées pour le triomphe de la cause sacrée du droit et de la liberté».

 

La victoire et le souvenir

 

Le 11 novembre 1918, ce fut l’armistice : « Arrivé à la mairie, au moment même (onze heures ¼) où un avis officiel de [l’armistice] était donné par téléphone du commissariat de police de Charenton, [le maire de Créteil] a aussitôt ordonné, en signe de réjouissance le licenciement des écoles publiques, le tir de salves de bombes, le pavoisement des bâtiments communaux aux couleurs françaises et alliées. Puis il a donné des instructions pour qu’une distribution de 400 drapeaux soit faite immédiatement aux habitants. Le soir, la mairie a été illuminée au moyen d’une rampe de cinquante lampes électriques et une distribution de 350 lampions et bougies a été faite aux enfants. La décoration de la mairie et des bâtiments municipaux a été maintenu durant plusieurs jours.»

 

La France fêta la victoire le 14 juillet 1919. Un grand défilé militaire descendit les Champs-Elysées, passant sous l’Arc de Triomphe où ne reposait pas encore le soldat inconnu.Créteil se devait participer à cette célébration comme le souhaitait le maire : « […] la commune de Créteil, s’est efforcée de célébrer avec tout l’éclat qui convenait cette glorieuse journée. Pour la première fois depuis 5 ans il nous est permis de nous y réjouir sans arrière-pensée et de célébrer notre fête nationale avec tout l’éclat et toute la gaieté qui conviennent à un peuple victorieux venant d’assurer définitivement la liberté du monde et le triomphe du droit […]..Je vous invite, habitants de Créteil, à pavoiser et à illuminer vos demeures […].

 

Donnons un souvenir ému à ceux qui ne sont plus mais pour ce souvenir même, faisons une fête digne de leur noble sacrifice. C’est pour que la France soit toujours belle et grande qu’ils ont donné leur sang». La fête fut d’autant plus belle que, depuis 1915, les traditionnelles fêtes de Créteil étaient supprimées. En juin 1919 encore, il fallut encore y renoncer «en raison d’immenses difficultés pour traiter avec les entrepreneurs de fêtes publiques […] ce n’est qu’à des conditions de prix fort élevés qu’il serait possible de louer le matériel de décoration et d’illumination la fête est ajournée […].» 

 

La Ville reçut comme « trophées de guerre » des armes prises sur les Allemands : une «minenwerfer », c’est-à-dire un mortier de 76, une mitrailleuse et 3 fusils.

 

La joie de la Victoire fut perturbée par des événements graves qui frappèrent la Ville : la grippe espagnole qui entraina la fermeture des écoles en octobre 1918, une crue qui, en janvier 1919, obligea à reloger plusieurs familles et à procéder « à une distribution gratuite de produits désinfectants pour l’assainissement des immeubles atteints par l’inondation.» La grippe fut particulièrement virulente dans la région : « la grippe « espagnole », apparue dans la région parisienne dès l'hiver 1917 et qui se développa jusqu’au début de novembre 1918. Frappant surtout les personnes entre 20 et 40 ans, elle fit 2 000 décès dans la semaine du 13 au 20 octobre et 315 dans la seule journée du 22. Il fallut réduire la circulation des trains, faute de personnel valide.[14]»

 

Un monument pour se souvenir et honorer les morts

 

Depuis 1914, régulièrement, lors des conseils municipaux, le maire communiquait la liste « des habitants de Créteil morts ou blessés pour la défense de la Patrie, des militaires originaires de la commune décédés dans les hôpitaux, des prisonniers et des disparus.»

 

Le 20 février 1915, le conseil adoptait une proposition pour « la concession gratuite d’un terrain destiné à la sépulture perpétuelle des habitants de Créteil morts pour la Patrie». Au conseil du 3 septembre de la même année, le maire rappelait qu’un « tableau sur lequel sont inscrits les noms des habitants de Créteil « Morts pour la France » a été placé dans le vestibule de la mairie et conformément aux instructions de Monsieur le ministre de l’Intérieur et de Monsieur le Ministre de la Guerre, les citations dont ont été l’objet certains de nos héroïques concitoyens figurent aussi sur deux tableaux faisant pendant au premier.


Ces trois tableaux, scrupuleusement tenus à jour resteront exposés à la mairie jusqu’au moment où, la guerre terminée, nous songerons à commémorer pour toujours la fin glorieuse des habitants de notre commune. »

 

Les morts étaient d’abord enterrés près des champs de bataille mais les familles firent venir les corps pour les inhumer soit dans des caveaux familiaux, soit dans le carré militaire spécialement affecté dans le cimetière communal. Ces dernières tombes devaient-elles être laissées au choix de chacun ? Le maire estimait que « l’uniformité des tombes s’impose, elle déterminerait dans l’avenir le caractère d’égalité suivant lequel nous considérons la grandeur du sacrifice inoubliable qu’on fait de leur existence nos vénérés soldats » et le conseil délibéra pour un modèle unique.

 

La commémoration de la victoire fut d’abord séparée de la cérémonie aux morts, instituée par la loi du 26 octobre 1919 « à la mémoire et à la glorification des héros morts pour la patrie », et fixée au 1er ou au 2 novembre. Créteil choisit le 1er et, en 1919 comme en 1920, une couronne fut déposée sur la tombe des soldats morts en 1870-71 et des palmes au monument du souvenir et au monument Lacharrière. Une conférence par le député de la circonscription, M Chéron, fut proposée le 31 octobre 1920 à la salle des fêtes. Par ailleurs, on organisa aussi une fête de la victoire, le 11 novembre, fête primitivement fixée au 4 septembre, jour anniversaire de la proclamation de la République. Cette fête semble avoir eu alors moins d’importance que la commémoration des morts, le conseil municipal souhaitait un programme réduit au strict nécessaire pour des raisons financières.

 

En février 1919, sur des initiatives privées, fut constitué un Comité du souvenir pour l’érection d’un monument à la mémoire des habitants morts pour la Patrie, car, « il faut bien le dire, la mémoire humaine est fragile, et malgré toute la reconnaissance enfermée dans nos cœurs, il faut nous défendre contre l’oubli, le temps émousse les sensations les plus sincères et les plus vives ».

 

On lui reprocha un aspect partisan ; quand, en 1920, le conseil municipal fut invité à se joindre « en bloc » à ce comité, un conseiller, M Lanon, intervint pour dire qu’il n’entrera au comité que « lorsque ce comité comme la tranchée et comme la tombe elles-mêmes, accueillera dans son sein des représentants de tous les partis politiques.»  Le maire lui-même rappelait qu’il avait, dans un premier temps, refusé la présidence d’honneur, « le comité n’ayant pas tenu compte de la composition de l’Assemblée communale » ; il considérait cependant que les choses avaient évolues et le conseil accepta la proposition à l’unanimité. Il y eut encore quelques contestations, et, en 1921, le conseil municipal dut protester « contre l’envoi de tracts visant certaines dames de Créteil, qui se sont occupées de la question d’édification du monument.»

 

Le comité recueillit les donations nécessaires à l’érection. Elles furent complétées par deux subventions municipales, dont une de 20 000 francs en 1920, et d’une subvention départementale de 10 500 francs votée par le conseil général en 1922.

 

Le concours organisé pour choisir le monument retint, le 23 mars 1921, le projet d’Alexandre Descatoire, statuaire, avenue du Maine n°54, à Paris. Le choix suscita une pétition de douze personnes accusant le statuaire d’avoir copié un monument existant ; le projet fut cependant maintenu.

 

photo de la guerre 14-18 à Créteil

 

Une victoire casquée tenant dans ses mains un glaive et un rameau, se dresse protectrice au-dessus de l’inscription aux  habitants de Créteil morts pour la Patrie. Les noms des 270 morts de la guerre de 1914 sont gravés, de part et d’autres, avec ceux de 1870. Les victimes des autres guerres furent ajoutées, au total 374 soldats morts entre 1870 et 1962. Aux dos, les noms des morts de 1870 et de 1914-18 sont répétés avec une croix de guerre et quelques vers des Chants du Crépuscule de Victor Hugo.

 

photo du monument aux morts

 

La Commune céda au Comité une parcelle de terrain, route d’Alfort « dans la partie du square public situé entre les deux portes du cimetière ». Pour cela, « en vue de dégager la perspective du monument aux morts pour la Patrie dont l’exécution se poursuit actuellement, le déplacement du bureau mixte d’octroi et de la baraque de cantonnier a été jugé nécessaire…le conseil municipal décide que ces constructions seront déplacées et en ce qui concerne le bureau d’octroi fixe sa réédification rue de l’Echat sur une parcelle de terrain appartenant à l’Assistance publique et loué au département. »

 

Les travaux avançant, le maire se préoccupait de l’inauguration et se demandait : « Doit-on organiser une cérémonie à laquelle assisterait un représentant du Gouvernement ou bien cette solennité doit-elle présenter un caractère intime, ce qui est d’usage à l’occasion de la commémoration annuelle des morts de la Guerre. » La seconde proposition fut retenue ; l’intimité ne voulait pas dire l’absence de personnalités locales, mais on décida de ne pas en graver les noms sur le monument. Le 1er novembre 1922, à 10 heures, le monument fut inauguré « sous la présidence de M. Charles Deloncle, sénateur, assisté de M. Adolphe Cheron, député de la Seine, Auguste Marin, conseiller général et Naudin conseiller d’arrondissement.»  Le président du comité le remit à la Ville. « Après une visite émouvante aux tombes des soldats inhumés dans le carré militaire, devant lesquelles se sont inclinés les invités, les sociétés et la foule nombreuses des habitants, la cérémonie de commémoration prit fin, laissant une impression de profond recueillement. »

 

Christian Fournier


[1] La plupart des renseignements proviennent des archives municipales, notamment des registres du Conseil municipal.

[2] André Dreux, Créteil… mon village, pages 45-46.

[3] Cf. maurras.net/2013/01/02/maggi-nid-despions/

[4] Dr Edgar Bérillon, La psychologie de la race allemande d’après ses caractères objectifs et spécifiques, conférence faite à Paris le 4 février 1917, in  Association française pour l’avancement de sciences, Conférences faites en 1916-1917, pages 123-124

[5] Cela contredit le fait que la réserve de la territoriale fut appelée plus tard. Peut-être, André Dreux mélangeait-il ses souvenirs ?

[6] André Dreux, Créteil… mon village, page 46.

[7] Association dont le but était de promouvoir les sciences et le goût de l’instruction. On peut aussi écrire phimathique.

[8] Historique des 83e et 283e régiments d'artillerie pendant la grande guerre,  imp. Hermieu, 1920, p 1.

[10] Le Petit Massueux, n° 41, 1993, page 20.

[11] M Mollat (ss la dir.),  Histoire de l’Ile-de-France et de Paris, page 516.

[12] André Dreux, Créteil… mon village, page 46.

[13] M Mollat (ss la dir.),  Histoire de l’Ile-de-France et de Paris, page 516.

[14] M Mollat (ss la dir.),  Histoire de l’Ile-de-France et de Paris, page 516.