Réforme de l'Hôpital : vers une médecine mercantile ?

Adoptée cet été, la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires), dite loi Bachelot, dont le maître mot n’est plus la santé, mais la rentabilité, cale la gestion de l’hôpital sur celle de l’entreprise.

 

Cette situation va s’aggraver encore, au détriment des patients et des personnels, avec la mise en place, sur tout le territoire francilien et notamment à Créteil, de Groupements de coopération sanitaire (GCS). Le point sur les conséquences en région parisienne et au niveau local.

 

Malgré une forte mobilisation en vue de son retrait (voir Vivre Ensemble n° 292 de mai 2009), la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires), plus communément appelée loi “Bachelot” du nom de son inspiratrice, a bien été votée le 21 juillet 2009.

 

Redéfinition des missions du service public hospitalier avec la participation indifférenciée des cliniques privées, développement de la rémunération individualisée des praticiens hospitaliers, rentabilité de la gouvernance de l’hôpital remettant en cause la démocratie sociale et sanitaire… cette loi présente le risque majeur de dérive vers un hôpital “entreprise”, où la logique financière prendrait le pas sur la qualité des soins.

 

Suppression de 3 à 4 000 postes en région parisienne

 

Conséquence logique de cette réforme hospitalière, des plans d’économies viennent d’être annoncés à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), premier employeur de la capitale.

 
Ce projet de réorganisation des hôpitaux parisiens et franciliens passera par des “fusions” d’établissements (regroupement des 37 hôpitaux en 12 groupes de soins) et 90 à 100 millions d’euros d’économies par an, via des suppressions d’emplois (d’ici à deux ans, 3 000 à 4 000 postes* supprimés sur un total de 92 000) afin de retrouver un équilibre budgétaire en 2012.
 

Face à ce dispositif et alors que le personnel soignant sonne l’alarme depuis des mois sur des conditions de travail intenables, les réactions se sont multipliées. Ainsi, le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP), mené par des médecins des hôpitaux parisiens, écrivait récemment : “Ce n’est que le début des baisses d’effectifs.” Illustration aussi avec les directeurs d’hôpitaux et médecins qui ont déjà dû réduire leur recours aux CDD et à l’intérim, ces dernières années.

 

Dans le même sens, de nombreux présidents de commissions médicales de l’AP-HP se sont ouvertement opposés à ce projet, menaçant de démissionner de leurs responsabilités administratives en cas de maintien du plan de suppressions des postes. Quant aux syndicats de personnels hospitaliers, ils ne décolèrent pas. Tandis que certains dénoncent la “destruction de la proximité de l’offre de soins”, d’autres critiquent “l’intensification du travail”.

 

Les regroupements d’établissements : une santé à l’économie

 

Autre élément clé de ce projet de réforme, la création de Groupements de coopération sanitaire (GCS).

 
Ainsi au niveau local, la loi Bachelot va se traduire, dans les mois à venir, par la constitution d’un GCS rassemblant le groupe hospitalier Albert-Chenevier–Henri-Mondor et le Centre hospitalier intercommunal de Créteil (Chic). 
 

Si la communauté hospitalière ne remet pas en cause la complémentarité accrue entre ces établissements de santé, elle voit, en revanche, d’un très mauvais œil, ce rapprochement dans un cadre juridique, basé, avant tout, sur la rentabilité financière.

 

Baisse de la qualité de l’offre de soins et de la prise en charge des patients (avec notamment un allongement des délais pour obtenir une consultation ou une admission à l’hôpital), suppression massive d’emplois (plus de 200 postes ont été supprimés entre 2004 et 2009 sur le seul hôpital Henri-Mondor, alors même que les effectifs sont déjà insuffisants), mutualisation des personnels avec dégradation des conditions de travail (mobilité forcée, horaires variables, turn-over important)… Voilà, en effet, quelques-uns des effets induits par le regroupement de ces hôpitaux publics. Autant de conséquences que n’ont pas manqué de souligner les représentants du personnel de l’hôpital Henri-Mondor, lors de la visite de la ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot, le 1er février dernier. A cette occasion, le député-maire de Créteil, Laurent Cathala a, quant à lui, soulevé les problématiques liées au devenir de l’AP-HP et à la remise en cause du statut des personnels.

 

Bien que le ministère de la Santé assure qu’une concertation sera organisée avant la validation définitive** des orientations stratégiques du projet, beaucoup se demandent déjà si cette loi ne porte pas en elle la disparition de la médecine hospitalière au profit d’une médecine mercantile.    

    

* Chiffres confirmés par le directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Benoît Leclercq. La moitié environ concernera les soignants et les médecins, l’autre moitié le personnel administratif.
** Validation prévue en juin prochain.

 

Ce que prévoit le Groupement de coopération sanitaire Chic/Chenevier-Mondor

 

Avec l’objectif “de poursuivre et renforcer le partenariat existant, de proposer une meilleure lisibilité de l’offre de soins, de rentabiliser les équipements sous-utilisés, de développer l’activité grâce à une synergie commune”, etc., le Groupement de coopération sanitaire se propose concrètement :

 

  • de regrouper la filière de pneumologie incluant la chirurgie thoracique, la pneumologie et le SSR pneumologie,
  • de regrouper l’anatomo-pathologie avec répartition des activités sur les deux sites,
  • de regrouper les antennes de spécialités ORL, OPH, stomatologie, cardiologie,
  • de regrouper et constituer une filière gériatrique unique sur le territoire,
  • d’organiser de manière commune les activités de recherche,
  • de regrouper les filières de maladies rares adultes-enfants, telle la drépanocytose.

 

Les questions de Laurent Cathala, député-maire de Créteil, à la ministre de la Santé

 

Les élus de Créteil ont assisté, le 1er février, à la visite de madame Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, au service d’accueil des Urgences de l’hôpital Henri-Mondor.

 

Cette visite a été l’occasion d’une rencontre avec les représentants du personnel administratif et médical de l’hôpital qui se sont faits les porte-parole des préoccupations de la communauté hospitalière quant à la loi “Hôpital, Patients, Santé, Territoires”.

 

Laurent Cathala, député-maire, a soulevé plusieurs questions :

 

  • Le devenir institutionnel de l’Assistance publique et les conditions du regroupement des différents hôpitaux dans la communauté hospitalière de territoire.
  • A Créteil, notamment, la constitution d’un Groupement de coopération sanitaire entre le Centre hospitalier intercommunal et l’hôpital Albert-Chenevier–Henri-Mondor.
  • Les inquiétudes suscitées par le plan annoncé de l’Assistance publique, prévoyant de 3000 à 4000 suppressions d’emplois d’ici 2012.
  • La remise en cause du statut des personnels, notamment en ce qui concerne les retraites des personnels infirmiers.

Les réponses de madame la ministre et du directeur général de l’Assistance publique ont été très générales, arguant simplement de l’augmentation des dépenses de santé.

 

Le point de vue des syndicats des personnels soignants du CHU Mondor

 

Interrogés sur leur sentiment quant à la réforme de l’Hôpital, les syndicats CGT, CFDT, FO et SUD Santé des personnels soignants du CHU Henri-Mondor, qui dénoncent les suppressions de postes dans le cadre de la nouvelle loi et les regroupements hospitaliers, nous ont fait parvenir le texte suivant :


“Le gouvernement, pour atteindre l’objectif imposé par l’Europe de limiter à moins de 3% par an les dépenses de santé, restructure les hôpitaux publics en groupements hospitaliers dans le cadre de «territoires de santé» par le biais de la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (HPST), dite loi «Bachelot». Mutualisation des moyens matériels et humains sont à l’ordre du jour avec toutes les conséquences associées à ces restructurations que sont les suppressions de structures hospitalières, les fermetures de services, les fusions d’activités… et, pour accompagner le tout, les suppressions de postes dans le cadre de véritables plans sociaux !

 

Au plan national, pour les seuls CHU (Centres hospitaliers universitaires), 25 000 suppressions de postes sont d’ores et déjà programmées d’ici 2012 ! A l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), ce sont 1 150 emplois supprimés en 2010 et 4 350 d’ici 2015)!

 

Pour procéder à ces suppressions massives d’emplois, le gouvernement applique aux hôpitaux publics son principe dogmatique de non-remplacement des départs en retraite.

 

Ce sont 220 000 infirmiers, aides-soignants, assistantes sociales, agents hospitaliers, secrétaires médicales, techniciens de laboratoires, manipulateurs de radiologie, kinésithérapeutes, personnels administratifs… qui partent en retraite entre 2008 et 2015 !

 

Les hôpitaux sont saignés à blanc de leurs personnels au nom de la «performance» prônée par M. le ministre Éric Woert !


Avec la loi HPST, le gouvernement choisit donc de restreindre les moyens nécessaires au fonctionnement des hôpitaux publics, d’augmenter le forfait hospitalier, de multiplier les déremboursements, etc.

 

L’intersyndicale CGT, CFDT, FO, SUD de l’hôpital Henri-Mondor dénonce cette politique et constate tous les jours qu’il n’est pas possible de supprimer des postes en laissant croire que l’on va améliorer ou préserver la qualité des soins.

 

Déjà aujourd’hui les établissements ne disposent pas des effectifs suffisants, déjà aujourd’hui les personnels payent durement la dégradation des conditions de travail et d’exercice professionnel, déjà aujourd’hui les usagers sont victimes de ce manque de moyens.

 

L’allongement des délais pour obtenir une consultation ou une admission à l’hôpital, pour une prise en charge aux Urgences en atteste. Les personnels sont au bout du rouleau et les mises en invalidité, les arrêts maladies… se multiplient. On pourrait ainsi allonger la liste.

 

Conséquences pour les hôpitaux du Val-de-Marne

 

Certaines des conséquences du regroupement des hôpitaux Albert-Chenevier, Henri-Mondor, Émile-Roux, Chic avec les hôpitaux Georges-Clémenceau, Joffre-Dupuytren (Essonne) sont déjà actées :

 

  • Suppressions d’emplois : sur le seul hôpital Henri-Mondor, ce sont plus de 200 postes déjà supprimés entre 2004 et 2009. Combien encore en 2010 et d’ici 2015 ?!!

 

  • Prise en charge des patients : dans un but de rentabilité, les patients seront plus rapidement dirigés vers les lits d’aval, si toutefois il en reste dans le secteur public. Il suffit de constater la fermeture de Georges-Clémenceau, de Joffre, la suppression de 68 lits à Dupuytren et d’une trentaine à Émile-Roux pour s’en convaincre. Là encore, un pan de notre activité tombera dans les mannes du secteur privé.

 

  • Mutualisation des personnels sur l’ensemble des sites hospitaliers avec mobilité forcée, horaires variables, travail en 12 heures, turn-over très important avec désorganisation totale entre vie professionnelle et vie privée…

 

  • Rapprochement accéléré entre nos hôpitaux AP-HP, le Chic, le CHIV et le CH sud francilien dans le cadre, notamment, de groupements de coopération sanitaire…

 

  • Politique sociale dégradée : nombre de places en crèches et en centres de loisirs plus qu’insuffisant avec ouverture le week-end répartie sur les sites, formation professionnelle sacrifiée…

 

L’intersyndicale CGT, CFDT, FO, SUD de l’hôpital Henri-Mondor tire la sonnette d’alarme et en appelle à la population. Les personnels hospitaliers, toutes catégories confondues, sont totalement surmenés, stressés, démotivés par le fait de ne plus pouvoir soigner correctement les patients… Ils fuient l’hôpital public et des conditions de travail insupportables qui poussent certains à mettre leur vie en péril !


Et demain, quelle qualité des soins, quelle prise en charge des patients, quid de l’emploi de nos enfants… ?


C’est pourquoi, l’intersyndicale propose aux usagers et personnels soignants de s’unir afin de défendre ensemble l’hôpital public.”

 

Article de Créteil, Vivre Ensemble, Mars 2010, n°300