Les habitants du Mont-Mesly à la “Une” du Monde
La richesse de la vie sociale dans le Haut du Mont-Mesly a fait l’objet, cet été, d’un reportage élogieux dans les colonnes du Monde Magazine daté du samedi 31 juillet 2010, sous le titre "À Créteil, la cité des habitants heureux".
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La plupart des résidents du Haut du Mont-Mesly ne voudraient quitter leur banlieue pour aucune autre. Proches de leurs voisins, ils sont impliqués dans la vie locale.
"Je me sens bien ici. A vrai dire, je ne me verrais pas ailleurs." Elle le dit comme en s'excusant, consciente, et pas mécontente en fait, d'aller à l'encontre des idées reçues sur la banlieue. La malicieuse Marie-Antoinette Gilbert a 76 ans et vit depuis quarante-cinq ans avec son octogénaire de mari au onzième étage d'une tour, entourée d'autres tours, dans l'un des quartiers que la politique de la ville désigne comme l'un des plus déshérités de France. Le Haut du Mont-Mesly, dans la partie sud-est de Créteil (Val-de-Marne). Marie-Antoinette, petite dame à l'éternel sourire bienveillant et au pas pressé, y est connue de tous, sollicitée de toutes parts. Hier, elle a revu avec bonheur La Strada au cinéma d'art et essai du quartier. Ce matin, elle passe en coup de vent à la Maison de la solidarité s'enquérir du succès, ou non, des cours d'italien et de pizza qu'elle propose au sein du réseau d'échange de savoirs.
"UN QUARTIER À FORTE IDENTITÉ"
Photo : Louise Oligny pour le Monde Magazine
Toute la politique de la ville se penche au chevet de cette cité de 9 000 âmes construite à la fin des années 1950 pour accueillir les classes moyennes, notamment rapatriées d'Afrique du Nord, désormais lieu de résidence d'une population précarisée, à forte minorité étrangère (21 %), engluée dans le chômage (plus de 20 % en moyenne, 31 % pour les jeunes).
"Et malgré ces difficultés, quand on discute avec les gens, pour rien au monde ils ne veulent quitter le Haut du Mont-Mesly !" Présent depuis quelques mois, Yannick Baylet, qui inaugure la fonction de délégué du préfet dans le quartier, dresse ce constat et s'en étonne. La situation lui semble différente de celle des autres grands ensembles de la région. "Il n'y a pas trop de soucis sur le plan de la sécurité.
C'est un quartier à forte identité, où l'on ne se contente pas de loger mais où l'on se rencontre, se connaît. Une cité populaire où l'on vit plutôt bien.". Photo : Louise Oligny pour le Monde Magazine
Les années 1990 y ont été mouvementées. Mais depuis, les choses se sont calmées, à l'exception d'une voiture qui brûle de temps à autre, d'épisodiques violences aux abords du collège et d'un trafic de cannabis à usage local.
CONVERSATIONS AUTOUR D'UN "AMITHÉ"
Une flopée d'associations, donc, le plus souvent créées sur des bases communautaires (elles sont tamoule, sri-lankaise, comorienne, maghrébine, réunionnaise, rom…), organisent la solidarité au sein de cette communauté, mais pas seulement. Des repas et des fêtes aussi, à n'en plus finir.
A la kermesse de la paroisse Saint-Michel, ce sont les femmes africaines qui ont cuisiné cette année. Et à la fête de l'Aïd, le rabbin et sa femme sont conviés. L'association tsigane Terné Roma fait danser les enfants du Mont-Mesly. "Les gens sont plus tolérants, ici, on se connaît, on n'est pas vus comme des voleurs de poules", apprécie Miroslav Gulyas, installé depuis seize ans "dans cet endroit magnifique grâce aux différentes cultures". Ici, il n'est pas rare d'entendre dire que l'immigration est une richesse.
Jeannette Bailly, 79 ans, en est plus que convaincue. C'est l'une des figures du quartier. L'une de celles qui lui donnent une âme. "Au Mont-Mesly, il y a vraiment des personnes qui sont des trésors, qui portent en elles l'intérêt général", sourit Abdel Daoudi, le directeur de la Maison de la solidarité, un centre social et culturel. Jeannette Bailly a fondé l'association d'animation Saint-Michel "pour venir en aide aux gens qui viennent d'ailleurs".
Cours de français auxquels assistent des femmes de 29 nationalités, apprentissage de la mobilité, des relations avec l'école, l'administration, l'hôpital…
Photo : Louise Oligny pour le Monde Magazine Et conversations autour d'un "amithé", tous les mardis après-midi. Jeannette est "tombée amoureuse du Mont-Mesly, de son côté mosaïque, comme nulle part ailleurs".
"Quand mon mari était gravement malade, les musulmanes que je croisais dans la rue me prenaient dans les bras, se souvient-elle. Elles me disaient : 'On prie pour toi'." Même la dame du magasin de chaussures à la décoration délicieusement surannée, Mme Borensztajn, Rachel de son petit nom, qui a ouvert en 1983 et dit détester ce qu'est devenu le quartier, tous ces commerces musulmans qui l'entourent désormais et qui, est-elle convaincue, font fuir les éventuels repreneurs de son fonds, même Mme Boren- sztajn, donc, aide les vieilles dames arabes qui viennent avec leurs papiers. "Elles sont analphabètes, je me mets à leur place, je les aide comme je peux. Le dimanche matin, on papote entre deux clients, et on papote longtemps vu qu'il n'y a pas beaucoup de clients, tout le monde me raconte sa vie, ça fait du bien."
ASSOCIATION D'ENTRAIDE
Quiconque prendra le temps de flâner dans le Haut du Mont-Mesly croisera également l'exubérante Penda-la-fée, comme elle aime se faire appeler. Penda Kaita, 47 ans, qui s'habille en violet de la tête aux pieds. Née au Sénégal, conteuse sans emploi, locataire depuis 1995. "Quand je sors acheter le pain, je rentre deux heures plus tard." Elle est de toutes les réjouissances culturelles et organise à Noël des ateliers de travaux manuels avec les enfants du coin pour décorer les halls d'immeuble. La solaire Fatou M'Baye et son mari, installés dans le quartier depuis trente-cinq ans, dirigent une association d'entraide pour femmes (Soninkara), hommes et enfants originaires d'Afrique noire. Il était menuisier à la mairie de Paris, elle travaille toujours à la cuisine centrale de la ville de Créteil. "On a beaucoup de chance d'être dans ce quartier où les gens se mélangent, estime-t-elle. Ce n'est pas bien de rester entre Africains. On a aussi quitté notre pays pour connaître les autres et pour qu'ils nous connaissent. Avec les associations, on fait des choses ensemble. On n'est pas dans notre coin à se méfier de l'autre."
Fatou M'Baye a ouvert une école au Sénégal, joue, à la demande du collège, les médiatrice auprès des parents d'élèves et a trouvé le temps d'élever six garçons dont on apprend, en insistant un peu, qu'ils sont devenus polytechnicien, professeur d'université ("Celui que les profs jugeaient le plus lent. Il a fait Normale sup"), architecte, professeur de maths, médecin anesthésiste et avocat.
A la retraite, les M'Baye repartiront au Sénégal, tout en gardant un appartement au Mont-Mesly. "On a été bien accueillis."
Photo : Louise Oligny pour le Monde Magazine Enfin, il y a Zaïa Hadjab, de l'association Femmes de tous pays, quarante-deux ans au Mont-Mesly. Zaïa qui va avoir 75 ans et ne les fait vraiment pas. "A s'occuper des problèmes des autres, on oublie les siens." Pour récolter des fonds, Zaïa et ses copines algériennes ont développé une activité de traiteur. 400 repas pour la fête de Noël ? Pas de problème, il suffit de démarrer à 3 heures du matin… "Comme ça, quand une femme est en difficulté, on amène un peu de lait, de farine, d'argent, on s'arrange entre nous." Ainsi, chaque année, les bacheliers ont droit à un beau repas, histoire d'encourager les plus jeunes. "On ne va pas refaire le monde, convient Zaïa, mais ça aide quand les gens descendent de chez eux et mangent ensemble. J'aime la chaleur de ce quartier métissé." Comme vice-président de Femmes de tous pays, Zaïa a choisi Martial, un quinquagénaire très "Français moyen".
Bien sûr, ces personnalités hors du commun ne font pas tout. Si, malgré les statistiques, le Haut du Mont-Mesly ne fonctionne pas comme une cité – ses habitants, d'ailleurs, n'emploient jamais ce mot –, l'urbanisme y est pour beaucoup. Le quartier, pensé dans sa globalité par l'architecte Charles-Gustave Stoskopf, est aéré, essentiellement composé d'immeubles de taille moyenne entourés d'espaces verts et de jeux pour enfants.
TOUT SAUF UN DÉSERT CULTUREL
"Notre intervention publique est forte depuis longtemps, confirme le premier magistrat, qui a résidé douze ans dans ce quartier auquel il voue une tendresse particulière. Il n'est pas rare que des personnes parties en province m'écrivent pour avoir de nouveau un logement au Mont-Mesly. Le lien social leur manque." Peut-être aussi la MJC, où l'on ne donne pas que des cours de rap, mais aussi de violon. La très riche bibliothèque pour enfants. Le cinéma d'art et essai La Lucarne où, un après-midi par mois, les femmes du quartier se pressent pour une séance qui leur est spécifiquement dédiée. La Maison de la solidarité, centre socio-culturel en activité quasi permanente (de 9 heures à 22 heures, parfois jusqu'à 23 heures) qui abrite, outre des dizaines d'activités pour enfants, un réseau d'échange de savoirs, les cours de l'Université inter-âges, les projections "Cinéma du monde" d'un comptable fou du septième art… Tout sauf un désert culturel, que ce Haut du Mont-Mesly.
"Mais nous veillons aussi à établir des passerelles vers les grands équipements du reste de la ville, pour ne pas laisser croire qu'il n'y a d'épanouissement que dans les structures de quartier" : leitmotiv du maire, éviter l'effet ghetto. Traiter les habitants comme tous ses autres administrés. "Les espaces verts, par exemple, sont entretenus avec le même soin qu'en centre-ville, donc ils sont respectés. Nous avons racheté une partie des logements sociaux pour avoir la maîtrise de l'habitat, des loyers, de la mixité sociale, du cadre de vie. Nous avons décidé d'implanter la nouvelle médiathèque de la communauté d'agglomération, un projet à 20 millions d'euros, au cœur du Mont-Mesly, sur la place de l'Abbaye…"
C'est cette marque de considération, pense Laurent Cathala, qui lui permet d'y circuler en toute quiétude, contrairement à "certains de [ses] confrères", interdits de cité dans leur propre ville. Pascale KRÉMER |